Procès de R. Alexis à Paris – 7ème jour : Gircour Vs Courroye
Une milice patronale ?
« - Si
ce n’était pas une bande de jeunes, comme vous le laissez entendre, alors,
selon vous, de qui s’agissait-il ? m'interroge Philippe Courroye, l’avocat général.
-
Ce dont je vous ai parlé jusqu’à présent, ce sont des
faits que j’ai pu vérifier. Les hypothèses qu’on peut en tirer, c’est du
ressort de la police qui aurait ensuite dû chercher à les confirmer ou à les
infirmer.
-
D’accord, mais vous, vous avez bien une idée, insiste l’ancien juge.
-
Si je reviens sur le SMS que je vous citais à
l’instant(1), si je reprends en plus les propos d’Elie Domota en réaction à ce
SMS, je me dis que la piste de la milice patronale est sans doute la plus
sérieuse. Mais dans cette affaire, d’autres hypothèses sont envisageables. Il
me semble par exemple que l’Etat est loin d’être au-dessus de tout soupçon. »
Frédéric Gircour
Trop tard
Comme
on ne m’interrompt pas, je développe ma pensée :
« Il
faut bien se replacer dans le contexte de l’époque. L’Etat, comme je l’ai expliqué tout à
l’heure, avait fait le pari du pourrissement, persuadé que le mouvement se
dégonflerait de lui-même. Quand il a compris que ce pari était perdu, qu’au
contraire, plus le temps passait, plus la population était nombreuse à se
mobiliser derrière les représentants du LKP, jusqu’à atteindre des proportions
jamais vues en Guadeloupe, il était trop tard pour envisager une véritable répression.
Et cela pour deux bonnes raisons : la première est que si d’aucuns
critiquaient les fermetures forcées d’entreprises, tout le monde ou presque
s’accordait à dire que les raisons ayant poussé au soulèvement étaient justes,
que la pwofitation était bel et bien une réalité aux Antilles. On ne pouvait à
ce stade reprocher de violences physiques au LKP. Il était malaisé donc, de
réprimer un mouvement aussi populaire, d’autant plus qu’entre temps, et c’est
là la deuxième raison, toute la presse papier et télévisée nationale était
arrivée en Guadeloupe, que même Al Jazeera et CNN avaient des envoyés spéciaux
sur place pour couvrir la plus longue grève générale jamais survenue sur le
territoire de la République française ! Réprimer violemment un mouvement
aussi massif et pacifique aurait été désastreux pour l’image du gouvernement et
de la France. Les efforts du commandant Gabillard ont permis de franchir un
premier pas en mettant un coup d’arrêt à la non-violence qui prédominait
jusqu’alors.
Les violences des jeunes
Philippe
Courroye ne réagit toujours pas, j’enchaîne donc :
-
Contrairement à ce qu’on a pu dire, après les
violences policières du barrage de Poucet, le LKP n’a pas donné de signal à la
jeunesse pour qu’elle enclenche les violences. Il n’en a pas eu besoin. Je vous
ai dit tout à l’heure que le premier mois s’était caractérisé par une absence
de violence physique de la part du LKP. Il n’empêche que dans les tous premiers
jours du conflit social, des faits de violence avaient tout de même été à
déplorer, notamment dans le quartier populaire de Lacroix : des poubelles
avaient été incendiées durant la nuit, des coups de feu avaient même été
échangés entre les jeunes de cette cité et la police. Le LKP avait alors
dépêché des délégués sur place et ce sont eux qui avaient calmé les jeunes en leur
demandant de les laisser faire les choses bien, en leur disant que la ligne pacifique
payerait car le LKP avait pour lui la raison et la légitimité du nombre. Cette
jeunesse sacrifiée, qui avait pourtant fortement envie d’en découdre, s’est
laissée raisonner et le calme est aussitôt revenu. Mais après un mois de grève
générale appuyée par une mobilisation d’une ampleur sans précédent par la
population, la seule réponse tangible obtenue par les manifestants a été celle de
la violence policière au barrage de
Poucet. Avec quel argument moral les délégués LKP auraient-ils pu tenter de
convaincre ces jeunes que seule la voie
pacifique était à même de changer la nature de la situation qu’ils subissent ?
Le 16 février
a donc vu une explosion de violence répondre à la violence de la police.
La police
s’est vite retrouvée débordée. Les pillages se multipliaient. L’action du commandant Gabillard, loin de
calmer le jeu, a donc jeté de l’huile sur le feu sans pour autant qu’une répression
massive à même de mater la contestation ne soit encore envisageable devant
toutes ces caméras braquées : les jeunes ne faisaient que s’en prendre à
des biens matériels et le refus d’arriver à une solution négociée n’était
clairement pas du fait des manifestants. Le conflit ne s’était que trop empêtré
et on peut considérer qu’aussi bien pour le grand patronat que pour l’Etat, il était
plus que temps de mettre un terme au statu-quo qui ne les avait que trop
desservis. Mais pour cela, il fallait faire basculer le conflit dans autre
chose que de simples attaques aux biens. Quelque chose qui, soit, dans le
meilleur des cas, refroidirait tout le monde, soit déclencherait des violences
aux personnes en retour, si graves qu’elles justifieraient là une sérieuse et
réelle répression.
A qui profite
le crime ? La mort du syndicaliste a sonné, de fait, un coup d’arrêt brutal au conflit. La pression
et la mobilisation sociales sont retombées, les gens se sont dits que c’était
allé trop loin, des accords de fin de conflit ont été signés à la va-vite qui
ne devaient pas, dans l’ensemble, être respectés. Le gouvernement avait tout
lieu de craindre, peut-être pas tant le LKP en lui-même, mais son exemple. De
quoi parle-t-on ? On ne comprend rien au LKP si on s’imagine qu’il s’agit
d’un parti ou d’un groupuscule. Non, le LKP c’est le rassemblement de toutes
les forces progressistes de la Guadeloupe et en premier lieu de tous les
syndicats de travailleurs, des plus modérés comme la CFDT ou la CFTC aux plus
radicaux. Non seulement la Guadeloupe était en train de montrer que cette union
était possible mais elle en faisait la démonstration au travers d’un mouvement
social très ambitieux, avec une plateforme regroupant pas loin de 150
revendications. A l’époque où dans l’hexagone, les centrales syndicales se
contentaient –déjà- de journées de grève de 24 heures, le LKP avait lancé un
mouvement de grève illimité et médiatisation oblige, cela commençait à se
savoir de l’autre côté de l’Atlantique, à en inspirer certains, à faire réagir
les bases syndicales. On a tous vu dans les manifs en France les banderoles
appelant à imiter le LKP. La contagion avait déjà gagné la Martinique, la
Guyane, etc. Le gouvernement n’avait-il pas tout intérêt à circonscrire cet
incendie d’une façon ou d’une autre avant que cela ne gagne l’hexagone où
le contexte social était là aussi très difficile ? C’est une question qu’on ne
peut éviter de se poser, en particulier quand on voit la façon dont ce même
Etat a conduit l’enquête après le meurtre. »
Philippe Courroye, m’ayant laissé parler tout ce temps
sans m’interrompre brandit la déposition de Jimmy Lautric et en lit un premier
passage. On demande au jeune homme s’il y avait des policiers aux alentours au
moment où il s’est fait tirer dessus. Il répond que non, il n’en n’a pas vu. Oui,
il en est sûr. Pour l’avocat général, cela démolit mon hypothèse selon
laquelle, l’Etat aurait pu être derrière ça.
L'avocat général, Philippe Courroye © AFP Fred Dufour
Je lui réponds que déjà, il a
toujours déclaré ne pas avoir vu ceux qui lui ont tiré dessus puisqu’il était
de dos, et enfin, je précise je n’ai jamais avancé que c’était des policiers en
uniforme qui avaient pu faire ça. Changeant de sujet, il remet en question le
fait que Lautric ait été touché par une balle brenneke.
Balle brenneke dans sa douille © Frédéric Gircour
Je commence par
réaffirmer pour commencer, que balle brenneke ou non, Bino et Lautric étaient
de toute façon les deux seules victimes de balle létales que ce conflit ait
fait, « il n’y a pas de doute à ce
sujet. Maintenant, vous avez raison, il persiste un doute quant au fait
que ce soit bien une balle brenneke et je vais vous dire pourquoi. La balle
était tellement puissante qu’elle a traversé de part en part la cuisse de Jimmy
Lautric ; elle est donc ressortie. Lorsque le lendemain, la police a
ratissé la zone, ce qui lui a permis notamment de retrouver les douilles des
balles qui ont été tirées sur la voiture de Jacques Bino, comme par hasard, le
périmètre des recherches s’est arrêté à quelques mètres de l’endroit où Lautric
a été touché. On n’a donc jamais retrouvé ni la balle, ni la douille.
Comme je vous
ai expliqué, Lautric a été opéré dès son arrivée, ce qui ne permettait donc
plus de tirer des observations précises à partir de sa blessure. Toutefois, il
y avait bien un élément qui aurait pu nous fournir de précieuses
indications : son bermuda. Sans doute en avez-vous déjà parlé, la brenneke
est une balle très spéciale puisqu’elle est équipée d’une ailette sur sa partie
arrière, qui en vrillant aggrave les dégâts sur les chairs qu’elle traverse. Si
la balle est bien une brenneke, comme tout le porte à croire, l’ ailette a
laissé des traces particulières sur le tissu du short, loin de la perforation
nette que pourrait produire une simple cartouche de chasse. Lorsqu’on leur
amène des blessés par balle, les personnels hospitaliers ont des consignes
précises. Au CHU de Pointe-à-Pitre, il existe un casier où les effets
personnels de ces personnes sont consignés jusqu’à ce que la police vienne les
saisir. Dans le cas de Jimmy Lautric, la réglementation a été suivie à la
lettre et deux policiers en uniforme se sont présentés et ont récupéré ses
affaires. Quand la mère de Jimmy a voulu à son tour les récupérer notamment
parce qu’elles contenaient le portable de son fils, surprise, les policiers du
commissariat de Gambetta à Pointe-à-Pitre ont affirmé ne jamais avoir eu ces
affaires entre leurs mains. Elle a fait le tour de toutes les institutions
policières de la région pointoise, le bermuda qui aurait pu établir qu’il
s’agissait effectivement d’une balle brenneke avait purement et simplement disparu
dans la nature…»
Philippe
Courroye ne se laisse pas démonter et reprend la déposition de Jimmy Lautric où
ce dernier explique qu’après avoir reçu la balle, il est parti en courant.
« - Monsieur
Gircour, je suis chasseur et je connais très bien les balles brennekes,
croyez-moi, quand un sanglier reçoit une balle brenneke dans la cuisse, il ne
repart pas en courant. Il est impossible que Jimmy Lautric ait reçu ce type de
balle et qu’il soit parti en courant.»
Patrice
Tacita nous avait habitués à son numéro d’expert en carnaval, soutenant avec
aplomb dès le premier procès que personne ne portait de gants pour jouer du
tambour pendant les défilés (c’est en effet l’explication que Ruddy avait donné
à la présence de gants noirs chez lui). Il a à nouveau tenu ces propos lors de
ce deuxième procès, avant d’être démenti par toute une série de photos
incontestables produites par maître Edmond-Mariette. Après Tacita l’expert
ès-carnaval, voici donc Courroye qui s’auto-poclame expert es-brennekes. Je lui
réponds :
« - C’est vous qui le dites. J’ai longuement parlé avec
Jimmy Lautric, il m’a dit effectivement avoir fait quelques mètres en direction
de la cité Henri IV avant de s’effondrer. Avec l’adrénaline, on accomplit
parfois des choses étonnantes. En tout cas, j’ai vu sa blessure et tout ce que
je peux vous dire, c’est que c’était un vrai carnage ! »
Le
lendemain, sûr de lui, Philippe Courroye reviendra sur cette question avec
l’expert en balistique, l’officier de la gendarmerie nationale Stéphane
Helstroffer :
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